La solidarité humaine à l’épreuve de la COVID-19


Patrick Telemaque

Université d’Ottawa

L’urgence sanitaire provoquée par la pandémie du coronavirus et l’évolution rapide de la situation montrent comment cette pandémie exerce une énorme pression sur notre système de santé, notre société, notre économie et notre environnement. La crise nous démontre que toute cette planète est liée. Qu’on le veuille ou non, nous ne faisons qu’un. Sans se livrer au jeu des prédictions, il semble que certains comportements ou tendances vont être intensifiés, diminués ou même repensés à cause de cette crise de coronavirus. Entre autres ces comportements et tendances, nous pensons notamment au recours à la technologie, à la protection des données personnelles, au meilleur environnement physique, et à la solidarité humaine à l’échelle locale, régionale, nationale et internationale.

ACCÉLÉRATION DE L’UTILISATION DE LA TECHNOLOGIE     

L’utilisation des outils technologiques va considérablement s’accélérer au sein des foyers confinés. Du e-commerce au télétravail, en passant par l’enseignement à distance, l’utilisation des outils technologiques va connaître une avancée spectaculaire. D’autres pratiques vont se développer dans le contexte actuel pour limiter les prises de contact même après la fin de cette crise : réunions à distance, téléconsultations par les médecins, médias digitaux, e-apéro, livraison au domicile, etc. Le télétravail pourrait par exemple prendre une nouvelle ampleur avec des conséquences sur la vie quotidienne, comme moins de déplacements, une meilleure répartition des tâches domestiques, etc. Au Canada, des centaines de milliers de personnes font du télétravail à cause des consignes de confinement. Et, à moins d’un revirement de situation, les personnes qui travaillent de la maison devront le continuer pour des semaines avant qu’on arrive à contrôler la pandémie et diminuer le nombre de personnes infectées. Or, de nombreuses personnes commencent à apprécier le télétravail parce qu’il facilite la conciliation travail-famille. Dans ce contexte, on voit mal comment toutes ces personnes qui travaillent de leur maison renonceront du jour au lendemain aux avantages du télétravail. Certes, beaucoup seront heureux et heureuses de retourner au bureau, mais elles/ils voudront sans doute de la flexibilité.

REPENSER LA PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES

La protection des données personnelles est un sujet largement abordé durant cette crise (Menguy, 2020 ; Hainsdorf et Liard, 2020). À l’image de ce qui a été mis en œuvre en Chine ou en Corée du Sud pour faire respecter les mesures de confinement, il existe tout un débat sur la façon de contrôler s’il y a des regroupements de plus de cinq personnes en Ontario, dix au Québec, notamment par le biais des téléphones ou de Google. Selon Tilli (2013), ces pratiques impliquant la réutilisation des données personnelles soulèvent de nombreuses inquiétudes en matière de libertés publiques, notamment au regard des risques de détournement d’usage et de pérennisation de telles mesures par les gouvernements.

« Il faudrait trouver, à l’avenir, un juste milieu entre des contrôles qui empêchent le développement d’une maladie comme le coronavirus et le respect de la sphère individuelle. »

DIMINUTION DE LA DÉGRADATION DE L’ENVIRONNEMENT

Les mesures de confinement prises par de nombreux pays pour arrêter la pandémie du coronavirus ont des répercussions importantes sur les émissions de gaz à effet de serre produites un peu partout dans le monde (Le Quéré et al., 2020). Toutes ces mesures d’urgence mises en place dans chaque pays ont grandement contribué à réduire l’activité économique, et du même coup, à réduire les émissions de gaz à effet de serre. On estime ainsi que ces émissions ont baissé de 25 % en Chine au cours du mois de février 2020 (Gobeil, 2020). Ces différentes mesures montrent clairement la façon dont on doit mener le combat contre le réchauffement de la planète. Selon des estimations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les mesures de confinement ont même des effets bénéfiques pour la santé publique puisque la concentration de particules fines a baissé dans certains pays pendant la période de confinement, ce qui a vraisemblablement permis de sauver plus de vies que le coronavirus n’en a coûté (Mayer, 2020). Il suffit de tirer les bonnes leçons de la crise actuelle : des mesures ambitieuses peuvent être prises pour le climat seulement si la société et les gouvernements reconnaissent l’urgence et agissent en conséquence.

REPENSER LA SOLIDARITÉ NATIONALE ET INTERNATIONALE

Cette crise du coronavirus met à nu les systèmes de santé dans le monde où les hôpitaux et les résidences de retraite se trouvent dans une situation de surmenage sans précédent qui nécessite une prise de conscience collective en redéfinissant la solidarité nationale et internationale que cette crise a mise en question. Aujourd’hui, les personnels soignants sont en première ligne et traduisent bien les manques de moyens de soigner autant qu’on le voudrait. On est en train d’apprendre, à travers cette crise, qu’il faut à l’avenir réorienter les budgets des gouvernements vers l’éducation, la recherche, la santé, et non vers cette économie qui a construit la société de rentabilité que nous vivons actuellement. Dans un entretien accordé au journal le Monde, Edgar Morin estime, et je cite : « Les carences dans le mode de pensée, jointes à la domination incontestable d’une soif effrénée de profit, sont responsables d’innombrables désastres humains dont ceux survenus depuis février 2020 » (Truong, 2020, paragr. 9).

Les organisations internationales comme l’OMS et le Fonds monétaire international (FMI) doivent venir en aide aux pays émergents et aux pays les plus pauvres du monde pour faire face au défi sanitaire de la pandémie, mais aussi à ses conséquences économiques. La solidarité internationale devra jouer un rôle fondamental dans la reconstruction efficace et utile des économies. Pour y parvenir, nous devrons repenser la gouvernance économique mondiale en définissant le rôle des organisations internationales et en leur donnant les moyens d’agir vite et efficacement. Dans un article publié sur le site Web des Nations Unies (2020), la Directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, a soutenu que cette crise est l’occasion pour les protagonistes de l’éducation de repenser l’éducation du futur en développant l’apprentissage à distance et en rendant les systèmes éducatifs plus résilients, plus ouverts et plus innovants.

La pandémie du coronavirus nous révèle à quel point la mondialisation est une interdépendance sans solidarité. Elle est certes unificatrice, mais elle n’a pas fait progresser la compréhension entre les peuples. Comme Morin (1999) l’a si bien fait remarquer, le monde devient de plus en plus un, mais il devient en même temps de plus en plus divisé. Faute de solidarité entre les peuples et d’organismes communs pour prendre des mesures à l’échelle de la pandémie, on assiste malheureusement à la fermeture égoïste des pays sur eux-mêmes pour lutter contre la pandémie.

RÉFÉRENCES

Gobeil, M. (2020, 21 mars). COVID-19 : La crise aura-t-elle des effets durables sur les émissions de GES? Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1678451/covid-coronavirus-impact-ges-emissions-gaz-effet-serre-rechauffement-economie

Hainsdorf, C. et Liard, B. (2020, 15 avril). COVID-19 et protection des données [billet de blogue]. Le Club des Juristes. https://www.leclubdesjuristes.com/blog-du-coronavirus/que-dit-le-droit/covid-19-protection-donnees/

Le Quéré, C., Jackson, R. B., Jones, M. W., Smith, A. J. P., Abernethy, S., Andrew, R. M., De-Gol, A. J., Willis, D. R., Shan, Y., Canadell, J. G., Friedlingstein, P., Creutzig, F. et Peters, G. P. (2020). Temporary reduction in daily global CO 2 emissions during the COVID-19 forced confinement. Nature Climate Change, 1‑7. https://doi.org/10.1038/s41558-020-0797-x

Mayer, N. (2020, 26 avril). En images : La Terre respire mieux depuis le début des confinements. Futura. https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/pollution-images-terre-respire-mieux-depuis-debut-confinements-80213/

Menguy, J. F. (2020). Coronavirus (Covid-19) : Le point sur les procédures collectives. WebLex. https://www.weblex.fr/fiches-conseils/coronavirus-covid-19-la-question-des-donnees-personnelles

Morin, E. (1999). Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur. Paris : Seuil.

Nations Unies. (2020). COVID-19 : « en guerre », l’ONU en appelle à la solidarité mondiale. https://www.un.org/fr/coronavirus-covid-19/covid-19-%C2%AB-en-guerre-%C2%BB-l%E2%80%99onu-en-appelle-%C3%A0-la-%C2%AB-solidarit%C3%A9-mondiale-%C2%BB

Tilli, N. (2013). La protection des données à caractère personnel. Documentaliste-

Sciences de l’Information, 50(3), 62-69.

Truong, N. (2020, 19 avril). Edgar Morin : « Cette crise nous pousse à nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins masqués dans les aliénations du quotidien ». Le Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/19/edgar-morin-la-crise-due-au-coronavirus-devrait-ouvrir-nos-esprits-depuis-longtemps-confines-sur-l-immediat_6037066_3232.html

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